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Avec une sensibilité à fleurde peau, Robin Campillo (120 battements par minute) scrute l’adolescence en plein questionnement existentiel. Un film sentimental et social si juste et d’autant plus émouvant qu’il est tiré du dernierscénario de Laurent Cantet (Entre les murs), décédé l’an dernier
Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon…
La création artistique est aussi affaire d’amitié et de transmission, deux thèmes qui traversent d’ailleurs Enzo. Certains films portent en eux à la fois l’émotion et la beauté de ce que l’on voit à l’écran, mais aussi de leur histoire, de ce qui a précédé et rendu possible leur naissance. Coproduit par Les Films du Fleuve, la société de Luc et Jean-Pierre Dardenne, Enzo est l’adaptation du dernier scénario de Laurent Cantet par son ami et collaborateur, Robin Campillo, qui avait notamment coscénarisé Entre les murs, Palme d’Or en 2008. Cette communion, magique, entre le talent et la sensibilité de ces deux grands artistes, recouvre Enzo d’une aura supplémentaire qui en fait tout sauf un film ordinaire.
Dans ce film personnel d’une grande sobriété formelle, Robin Campillo portraitise une jeunesse, incarnée par Enzo, qui se cherche, mal dans sa peau, à la croisée des chemins, en guerre contre son milieu familial étouffant et en quête d’expériences nouvelles. Un thème éternel rehaussé d’une dimension sociale dont l’approche est originale puisque le concept de transfuge de classe y est inversé : Enzo, fils de bourgeois, tient à travailler aux ctés des ouvriers lors de sa formation scolaire. Robin Campillo enregistre le mal-être adolescent, ces grands questionnements sentimentaux et sexuels qui rendent difficiles l’apprentissage de la vie, dans des scènes intimes mais aussi de groupe otout est subtilement rendu, par exemple quand Enzo ne sait pas tout à fait quelle direction prendre, ni comment traduire un regard. Cette confuse recherche d’identité et de désir est racontée dans un lieu quasi unique, à haute valeur symbolique, celui d’un chantier en construction. Au cœur de ces fondations et de ces murs qui grandissent brique après brique, Enzo apprend le sens des responsabilités, est confronté à d’autres réalités de vie, difficiles et tragiques, et va faire une rencontre déterminante et intense, aux portes de l’amour.
Jamais didactique ni psychologique, Enzo est une sensible chronique estivale sur l’attirance des corps et la résonance des battements du cœur, otout est esquissé finement, oce sont les personnages et leurs réactions qui imposent le rythme et la dramaturgie. Que les parents (surtout le père) restent présents tout le long en retrait, témoignant inquiétude et confiance à l’égard de leur fils, est une des belles démarches d’un film qui ne condamne aucune situation, n’oppose pas sommairement ses personnages, ni ne les relie facilement, d’ailleurs (le désir, aussi intense soit-il, est aussi affaire de temps).
En permanence, ce qui se joue sur ce chantier entre en résonance avec ce que l’on ne voit pas, le hors champ, la violence du monde (ici, la guerre en Ukraine), qui, par ricochet, finit par malmener le désir amoureux. De cette jeunesse à la recherche d’elle-même, Robin Campillo capte l’intensité romantique, la douleur, la fragilité, mais aussi, et peut-être surtout, son caractère solide et éblouissant comme l’est tout mur de briques majestueux, volontairement bâti pour l’éternité.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux
